Avec l'aimable accord de Jean Jacques du magasine Gazoline (n°de mai 2005 ) : http://gazoline.net

A l'ombre de l'Herald. la Vitesse se devait d'offrir une version plus musclée et plus typée sport, en adoptant un six cylindres. Mais, par timidité ou parce que Triumph devait composer avec ses propres difficultés de développement, elle n'a pas toujours eu droit au traitement qu'elle méritait. Ne recevant une motorisation et une tenue de route satisfaisante qu'en fin de carrière.

1962 – 1966 Six cylindres dans une Herald

A l'orée des années soixante, l'histoire de Triumph reste toujours aussi chaotique. Associée à la Standard Motor Company depuis la fin de la seconde guerre mondiale, on la pensait pourtant sauvée, l'interventionnisme de Sir John Black ayant permis de remettre à flots une entreprise moribonde. Mais les aléas d'un marché délicat, les difficultés de la Standard elle-même ont précipité, une nouvelle fois, le groupe dans la zone rouge. C'est d'autant plus dommage que l'Herald, lancée au printemps 1959. mérite un élargissement de gamme et qu'on étudie, dès cette date, une version qui recevrait une mécanique six cylindres. Une sorte de retour à une tradition d'avant-guerre qui ne pouvait concevoir un modèle Triumph sans une déclinaison ainsi motorisée. Le projet, mené par Alick Dick et I Harry Webster, a même un nom de code "Atom". Oubliant au passage que, en 1954, un certain Don Bennett, vice-maréchal de l'air, avait présenté à la presse une autre voiture, baptisée également Atom. et qui entendait devenir la voiture populaire anglaise de l'avenir. Avec sa carrosserie en plastique, ses trois petites places et surtout des mécaniques dérivées du monde de la moto, l'engin ne dépassera pas le stade du prototype, même si 12 modèles seront finalement assemblés.

L'Atom de Standard -Triumph a évidemment d'autres ambitions et si l'on en croit Alick Dick, elle doit pouvoir s'inscrire entre l'Herald 1200 et la Standard Ensign destinée à remplacer la vieillissante Vanguard (projet Zebu). Comme pour l'Herald, le design est confié à Giovanni Michelotti, Harry Webster faisant de fréquents allers et retours entre Coventry et Turin pour surveiller l'avancement du projet. Il conduit alors un coupé Herald motorisé par un six cylindres deux litres Vanguard. et qui sera baptisé "dragster" en référence à la manière dont Webster faisait hurler la mécanique à chaque démarrage, sur IM29, près de Kenihworth. « Dix minutes après avoir passé la première vitesse, j'étais chez moi !» se souvient-il en riant. Oubliant de préciser qu'il y avait près de 22 km entre ses bureaux et sa maison.  « J'en ai profité pour faire essayer cette voiture à tous ceux qui doutaient, au sein de la Standard-Triumph, de l'intérêt de monter un six cylindres sous le capot d'une Herald. En descendant de l'auto, et en voyant leurs sourires, je savais avoir gagné un nouvel allié. » Au milieu des années 60. c'est ce fameux dragster qui va servir de laboratoire à toutes les pièces qui équiperont la future Vitesse. A commencer par le nouveau châssis, inspiré de celui de l'Herald. mais renforcé et modifié dans sa partie antérieure pour pouvoir accepter le moteur et le radiateur juste derrière la calandre. Un châssis qui présente une bien meilleure résistance à la torsion, les seules pièces communes avec l'ancien concernant la tôle de fixation des bas de caisse ! La forme des supports de caisse AR est également modifiée, ce qui augmente le nombre de points de fixation de la caisse qui passent de 20 à 22. Par ailleurs, l'idée qu'on devait pouvoir proposer un Overdrive en option pour les clients qui le désirent impose l'écartement des profilés encadrant la boîte de vitesses. Les points d'ancrage des amortisseurs AR et du pont sont également revus et. parce que Webster s'en sert régulièrement pour se rendre à Turin, on lui monte deux réservoirs d'essence dans les ailes AR. Parallèlement. Michelotti a revu sa copie, non sans mal, les ingénieurs de Standard - Triumph souhaitant pouvoir réutiliser des emboutis de l'Herald sur la nouvelle auto pour en limiter les coûts de production. Il a donc essentiellement travaillé la face AV qui reçoit désormais quatre optiques rondes plantées à l'oblique encadrant une calandre en forme de trapèze. Le capot et les ailes AV sont également spécifiques à la Vitesse, mais la partie médiane et tout l'AR sont strictement ceux de l'Herald Le premier prototype est daté d'avril 1960 et il reçoit l'aval des dirigeants de la Standard - Triumph qui, dans la foulée, abandonnent le projet Zébu et mettent toutes leurs forces dans l'Atom. Laquelle est, à partir de septembre, officiellement inscrite sur les tablettes sous le nom de Vitesse. Ce patronyme ne doit rien au hasard. Il reprend, en effet, celui de la Gloria Vitesse des années trente mais surtout celui du projet initié dès le rachat de Triumph par la Standard, en 1944. d'une auto de sport (nom de code "Zoom") qui devait être commercialisée sous le nom de... Triumph Vitesse. 

En octobre de cette même année, et alors que l'on travaille d'arrache-pied à la mécanique, on fait les comptes. Si l'on veut développer une version quatre portes de ta Vitesse, il va falloir débourser plus de 400.000 livres rien qu'en outillages. Auxquels s'ajoutent déjà les 70.000 livres indispensables pour la nouvelle face AV. C'est beaucoup. D'autant que le nouveau châssis renforcé a nécessité de lourds investissements (on les estime alors à 60.000 livres), ce qui explique qu'il sera d'ailleurs repris, par la suite, sur les Herald. Or, .Standard – Triumph est bien incapable de pouvoir avancer de telles sommes. La situation du groupe est telle que, sans l'arrivée d'un nouveau partenaire, il va même falloir fermer boutique. Depuis déjà quelques mois, des tractations ont d'ailleurs lieu entre les dirigeants de la Standard et ceux de Leyland Motors, les seconds finissant pas accueillir les premiers au sein de leur groupe dès le mois de décembre. 

Dès lors, plus rien ne s'oppose à ce que la Vitesse passe à la... vitesse supérieure, l'arrivée de Leyland poussant par ailleurs à revoir quelque peu la copie initiale. Le nouveau patron n'est, en effet, pas persuadé qu'un moteur de deux litres soit la meilleure des solutions pour une voiture qu il n'entend produire qu'en version coach deux portes ou cabriolet. 11 n'est pas question de coupé dans le cahier des charges qui a été fixé, et encore moins de versions quatre portes, Leyland estimant qu'un tel modèle est trop onéreux à produire pour un public somme toute rare. Même aux Etats - Unis qui reste le débouché numéro un des voitures de sport britanniques. Le six cylindres 20S "six", dérivé du fameux quatre cylindres Standard - Triumph SC (pour Small Car) qui équipe l'Herald, voit donc sa cylindrée ramenée à 1.596cm3, alors que la Standard Vanguard Six a droit à sa version plus riche de 1.998 cm !.Un retour en arrière qui ne doit pas faire oublier que le prototype de ce six cylindres n'était qu'un "minuscule" 1.422cm Il est alimenté par deux carburateurs Solex 32 PHI et la puissance délivrée reste modeste pour une voiture à vocation "sportive" : 70 bhp à 5.000 tr/mn, couple maxi placé à 12.79 mkg à 2.800 tr/mn, vitesse maxi de 144 km/h... On est assez loin des performances espérées, le seul avantage du six cylindres résidant ici dans la souplesse et le silence de fonctionnement. Techniquement, la Vitesse est ce qu'on pourrait appeler une Herald améliorée. On y retrouve bon nombre d'éléments de sa grande sœur, à commencer par ses quatre roues indépendantes. A l'avant, on a un triangle inférieur monté sur nylon, les articulations supérieures étant à joint de rotule et des ressorts hélicoïdaux associés à des amortisseurs venant participer à la suspension ( en option on peut leur préférer des amortisseurs Amstrong tarés plus durs ) tout autant qu'une barre antiroulis. A l'AR, le pont reste suspendu au châssis et deux joints de cardan transmettent le mouvement aux arbres de roues et traversent des jumelles porteuses dont la partie supérieure est fixée à l'extrémité d'un ressort transversal à lames. Deux jambes de force solidaires du châssis et des amortisseurs télescopiques complètent le tableau. Pas le moindre graisseur sur ces trains roulants, l'emploi de bagues de nylon et de silentblocs limitant les opérations d'entretien. Les freins, par contre, ont été revus à la hausse. On trouve des disques à l'AV offrant une surface de freinage de 929 cm2 et des tambours à l'AR agrandis, le tout commandé par hydraulique. La boîte de vitesses offre quatre rapports synchronisés, la quatrième étant en prise directe (en option, on peut obtenir un Overdrive Laycock de Normanville donnant un rapport aux roues en prise directe de 3.3 et en troisième de 4.14, le commutateur étant incorporé à la colonne de direction). La direction reste à crémaillère en bout d'une colonne de direction coulissant en cas de collision et ajustable sur une distance de 10 cm environ. Le réservoir d'essence de 40 litres est situé dans l'aile AR gauche, comme sur l'Herald. La Vitesse qui est officiellement présentée en mai 1962 au salon londonien d'Earl's Court est diffusée en version cabriolet et berline deux portes qu'on assimilera donc à un coach.

 Comme avec l'Herald, c'est une tri-corps, avec une partie AV basculant d'un seul tenant, ailes et capot étant solidaires, afin d'offrir une accessibilité maximale à la mécanique et aux trains roulants. Les portes sont munies de bouton-poussoir sous la poignée et arborent des déflecteurs. Les pare-chocs sont en aluminium poli avec crosses chromées. A l'intérieur, les sièges AV sont séparés, celui du conducteur pouvant être réglé dans le sens de la hauteur, incliné ou écarté du volant suivant la longueur des jambes de l'occupant, une banquette AR pouvant accueillir deux personnes de taille moyenne. Les garnitures sont en vinyle. L'équipement général comprend un radiateur de chauffage, un lave-glace commandé par un bouton-poussoir, un tableau de bord et des rebords internes des portes plaqués noyer, deux pare-soleil dont un avec miroir de courtoisie, un cendrier dans le tableau de bord (deux cendriers supplémentaires sur le coach, encastrés dans les panneaux AR), de la moquette au sol. des poignées de portières et des patères chromées, des points de fixation pour les ceintures de sécurité. L'éclairage intérieur se déclenche automatiquement à l'ouverture des deux portes ou manuellement Le volant est à deux branches avec commande du klaxon au centre du moyeu. La planche de bord arbore un large cadran (12,5 cm) qui inclut le tachymètre, un totalisateur kilométrique, une jauge à essence et les lampes témoins pour la pression d'huile, les grands phares et les clignotants. Au centre de la planche de bord sont regroupées les commandes de starter, d'essuie-glace, de commutateur principal pour les phares et le commutateur d'éclairage des instruments de bord. Le court levier de vitesses est au plancher. Qu'il s'agisse du cabriolet ou du coach. les Vitesse sont livrées peintes dans un seul coloris, la peinture "dual tone" n'étant disponible qu'en option. Dans ce cas, la caisse est découpée en trois parties : en haut et en bas dans une teinte, au centre et soulignant la ligne de caisse et englobant la calandre, dans une autre couleur. A l'évidence, on a essayé de faire du neuf avec du vieux, dotant la Vitesse d'un maximum de pièces de l'Herald pour en diminuer les coûts de production. 

Pari réussi, même si la clientèle se montre quelque peu déçue de retrouver notamment le volant cheap de l'Herald et de n'avoir à disposition qu'un unique cadran. Mais le marché américain, premier visé par Standard - Triumph et Leyland Motors, s'enthousiasme pour cette nouvelle auto et, très vite, ce sont 250 Vitesse qui sont produites mensuellement à Coventry. Aux USA. parce que le nom de Vitesse n'évoque rien d'autre qu'un mot français à l'exotisme peu vendeur, l'auto est baptisée Sports 6. Et leur planche de bord reçoit un second cadran, à gauche du tachymètre, le thermomètre de température d'eau. Cependant, très vite, elle montre ses limites, sa motorisation n'étant pas à la hauteur des espérances. Elle n'y sera finalement exportée qu'à 679 exemplaires en version cabriolet jusqu'à la fin 1974. Une misère par rapport à la diffusion envisagée. Pour inverser la tendance, il faudrait pouvoir proposer une version plus richement dotée. Mais l'investissement nécessaire sera-t-il suffisant ? On en doute chez Leyland, ce qui explique la timidité avec laquelle les modifications vont intervenir. Il faut attendre mars 1963 pour voir les Vitesse, en même temps que les Herald 1250, recevoir en option un toit ouvrant souple (sun-roof ) sur les versions coaches (on estime qu'entre 60 et 100 exemplaires en seront équipés chaque mois]. A partir de septembre, et pour répondre aux critiques de ceux qui trouvaient l'instrumentation pour le moins chiche et le tableau de bord tristounet, la Vitesse reçoit quatre cadrans : jauge à essence, tachymètre de plus petit diamètre, compte-tours et thermomètre de température d'eau. Mais si les ventes continuent à être soutenues, c'est surtout parce que les taxes britanniques ont baissé, le prix de vente passant, pour un coach, de 837 livres lors de sa sortie à 745 livres à la fin de l'année 1964. On sait cependant, chez Standard - Triumph, que la survie de la Vitesse passe par une amélioration sensible des performances. Tout au long de l'année 1964, les ingénieurs cherchent ainsi des solutions peu onéreuses pour gagner quelques petits chevaux, et ils montent deux carburateurs Zenith-Stromberg. en lieu et place des deux Solex. Les tests réalisés aussi bien au sein de l'usine que par des journalistes montrent une légère augmentation de la vitesse maxi (146 km/h ) mais surtout une plus grande nervosité de la voiture. Du coup, au milieu de l'année 65, ce sont ces deux carbus qui vont être montés en série, Standard - Triumph ne communiquant cependant jamais sur le gain réel de puissance réalisé. Coincée entre les Spitfire et les Herald qui sont produites sur les mêmes chaînes qu'elle, mais à une cadence nettement plus élevée, la Vitesse 1600 poursuit sa route tranquillement jusqu'en août 1966. Elle aura été produite à 22.814 exemplaires en version coach et à 8.447 unités en finition cabriolet, sa meilleure année restant 1964 avec 6.375 coaches et 1.947 cabriolets sortis de chaîne

Identification : Numéros de série

Coaches:du n°HD4DLau n°HB34053

 Cabriolets: du n°HB47CVau n° HB34053.

 

 

Depuis la sortie de la Triumph2000,ilest devenu évident pour tout le monde que la Vitesse va hériter, à un moment ou à un autre, de la version 2 litres du six cylindres. D'autant que la concurrence n'est pas restée inactive depuis son lancement, Sunbeam boostant sa Rapier en lui offrant un 1600, puis un 1700, Ford faisant passer son 1300 dans la catégorie supérieure en deux étapes(1500 puis 1600) et BMC faisant de même avec son moteur 1500 réalésé en 1600. Comme on sait, par ailleurs, qu'un coupé GT6 basé sur le châssis de la Spitfire doit également voir le jour, le 2 litres semble bien être l'avenir de la Vitesse.

  1. De fait, la nouvelle génération des Vitesse 2 litres, dévoilée en octobre 1966, reprend le 1.998cm de la Triumph 2000 et de la Standard Vanguard Six, très légèrement modifié pour la circonstance. Le taux de compression est passé ainsi de 9:là9.5:l et la puissance de91chDlNà4.750tr/mn à 95 ch à 5.000 tr/mn, l'alimentation étant assurée par deux carburateurs Zenith-Stromberg 150CD. La transmission a, par ailleurs, été revue par l'équipe de l'ingénieur George Jones qui a développé une nouvelle boite de vitesses à quatre rapports synchronisés et à engrenages hélicoïdaux silencieux. Son étagement est totalement différent, la quatrième ou prise directe affichant un rapport de 3,89 au lieu de 4,11, la première étant plus longue, le rapport de pont passant à 11x36. Le différentiel est renforcé, tout autant que le montage du pont suspendu. Les points d'attache des amortisseurs AR sont déplacés et le diamètre des disques de freins AV est augmenté ( 246 mm au lieu de 228 ). Parallèlement, le circuit de refroidissement fait appel à un radiateur plus compact. Les jantes passent en 4,5" et sont identiques à celles de la Courier.

  2. Extérieurement la 2 litres ne se distingue de la 1600 que par ses badges de calandre et de malle AR et par son feu de recul sous la plaque de police AR A l'intérieur, on retrouve tout l'équipement de la 1600, à l'exception du volant trois branches garni cuir de la TR4A qui donne un côté sport à l'auto, du garnissage qui est en simili cuir et PVC et des sièges dont le dessin est légèrement modifié pur assurer un meilleur maintien latéral et une assise plus raide au niveau des cuisses grâce à la présence de renforts rembourrés. Le haut des portes est décoré façon faux bois, la planche porte-paquets est habillée de simili et le plancher recouvert de moquette. Bref, c'est une auto qui n'est certes pas nouvelle, mais qui offre suffisamment d'attraits pour séduire une clientèle exigeante. Oui, mais voilà, Triumph ne communique pas autour de la Vitesse 2 litres, mettant en avant sa GT6 qu'il dévoile en même temps ! Il faut dire que dans le groupe Leyland, on nourrit beaucoup d'espoirs autour de ce coupé sportif qui doit enfin convaincre le marché américain et redonner un coup de fouet à une production qui marque brusquement le pas. Du coup, on a un peu mis de côté la Vitesse qui n'a pas droit au traitement qu'elle mérite, et les ventes s'en ressentent. De septembre 1966 à juin 1968, il n'est ainsi produit que 7328 coaches et 3.502 cabriolets. Une fois encore, on reproche à Standard - Triumph son manque d'ambition dans le développement d'une auto qui passe manifestement au second plan. La presse ne se prive d'ailleurs pas de critiquer l'attitude du constructeur, clamant haut et fort qu'il peut mieux faire s'il veut bien s'en donner les moyens. Or, ces moyens, Leyland Motors ne veut manifestement plus les mettre, occupé qu'il est à digérer son absorption de Rover puis sa fusion avec British Motors Holdings ( cette entité ayant été créée en 1966 à la suite de la fusion entre Jaguar et la British Motors Corporation ) pour former la British Leyland Motor Corporation (officiellement en mai 1968, mais le changement de dénomination est effectif au 1" janvier de cette même année). Triumph n'est donc plus, maintenant qu'un constructeur parmi des dizaines d'autres, le plus souvent en difficultés, dans un empire britannique qui n'a pas su moderniser ses outillages ni adapter sa façon de penser aux nouvelles donnes économiques, et notamment à la création de l'Europe. Pour l'heure, les sujets de sa Majesté voient encore l'Amérique comme leur plus intéressant débouché, leur Eldorado automobile. Sans se douter que leur ami de toujours va progressivement les étrangler en imposant des normes antipollution que les mécaniques anglaises sont bien incapables de respecter, sauf à brider totalement la puissance de leurs moteurs... o

    Identification

    Numéros de série - Coaches et cabriolets : du n°HC6 au n°HC12079

Il était temps ! Voilà le sentiment général qui prévaut à la présentation de la Vitesse 2 litres Mkll, en juillet 1968. Et cette fois, ce n'est pas tant la puissance du moteur, en hausse pourtant sensible à 104 ch DIN à 5.300 tr/mn, qui enthousiasme les foules. Pourtant, il y aurait, pour une fois, beaucoup à dire sur les améliorations de cette mécanique qui reçoit une nouvelle culasse dont les passages de gaz et les chambres de combustion ont été redessinées (c'est celle de la TR5), un arbre à cames qui augmente les temps de remplissage et d'évacuation des gaz et un ventilateur 8 pales au lieu de six. Mais non, ce qui fait parler, c'est sa nouvelle suspension AR. Parce que si elle avait donné entière satisfaction sur la version 1600, le surcroît de puissance du six cylindres deux litres a montré les limites de cet essieu oscillant au guidage pour le moins aléatoire lorsque le transfert de masse est brutal. Certains essayeurs ont même constaté, en utilisation sportive, un carrossage... positif sur les roues AR au sortir d'un enchaînement de virages serrés avec changements d'appuis. Harry Webster l'a bien compris qui, avant même ces critiques répétées, a commencé à plancher sur une nouvelle suspension AR, inaugurée d'ailleurs sur la GT6 dès le millésime 1968, l'essentiel du travail portant sur la réduction des efforts de torsion auquel est soumis le train AR, surtout en latéral. 

Mais comme on ne peut pas tout révolutionner d'un coup, et parce qu'il faut bien conserver le pont AR suspendu ( le ressort à lames transversal supporte le carter de pont ), les ingénieurs ont repris une solution utilisée par John Cooper à la fin des années cinquante sur ses autos de Formule 1. Une triangulation infé­rieure, complétée par des amortisseurs à levier hydrauliques, des tampons de poussée, et les habituels tirants. Le tout avec un ressort dont le nombre de lames passe à sept au lieu de ll et un système d'accouplement au pivot totalement revu. L'ensemble, associé à des modifications très légères de châssis, essentiellement au niveau du positionnement des tirants, offre une bien meilleure géométrie du train AR qui est immédiatement saluée par la presse comme un progrès considérable. " Ça y est. la Vitesse 2 litres tient la route ! Et pas toute la route ! " Même si certains se demandent si cette solution n'est pas finalement trop compliquée et si. en revoyant simplement plus en profondeur sa copie, Triumph n'aurait pas pu purement et simplement supprimer le ressort transversal pour adopter des ressorts hélicoïdaux et une double triangulation. Mais, comme l'explique alors Harry Webster, il aurait fallu reprendre entièrement le châssis, ce qui aurait entraîné des coûts surréalistes pour une auto qui, il faut bien le reconnaître, est en fin de vie. 

La Vitesse 2 litres Mkll se reconnaît extérieurement à sa calandre arborant trois groupes de trois barres, dans l'esprit de la Herald 13/60. Elle affiche son nom sur le côté gauche du capot AV et, sur les côtés du capot, un discret MK2 en noir sur fond chromé fait son apparition. A l'AR. la partie centrale emboutie du couvercle de malle reçoit une décoration en aluminium satiné, et un nouveau monogramme Triumph Vitesse est fixe côté droit. Les enjoliveurs imitent les jantes type Rostyle, et on les retrouve sur pas mal de véhicules Triumph de la même époque. La planche de bord est parallèlement revue, la jauge à essence et le thermomètre de température d'eau étant regroupés dans un unique cadran, à droite du compte-tours. Les boutons de commande sont par ailleurs regroupés sur une console centrale et les commandes des phares et indicateurs de direction migrent sur la colonne de direction. Malheureusement pour la Vitesse, la concurrence est alors sévère sur un créneau extrêmement réduit, et elle doit même se battre face à des autos qui font partie de sa propre famille, qu'il s'agisse de la GT6 ou de la Triumph 25 PI, voire même de la TR 6 Mais parce que Triumph est alors trop occupé pour développer de nouveaux projets, elle va pourtant continuer à sur- vivre jusqu'au 17 août 1971, date à laquelle le dernier exemplaire sortira de chaîne, la Dolomite venant alors la remplacer. Il aura été produit 5.649 coaches en version Mkll et 3.472 cabriolets. Ce qui porte à 51.231 le nombre total de Vitesse dont le prototype utilisé par Harry Webster pour convaincre ses partenaires du bien-fondé de lancer une Herald à moteur six cylindres. Pas si mal pour une auto qui n'a pas toujours bénéficié de toute l'attention que son constructeur aurait dû lui accorder. •

 

Identification :

Numéros de série : 

Coaches: du n°HC50001DL au n° HC57996DL 

Cabriolets: du n° HC50006CVau n°HC58109CV.

 

S'offrir une Vitesse peut être une bonne option si l'on cherche un cabriolet anglais facile à restaurer et pas cher à l'achat ... Problème : c'est une auto rare !

Dans le monde Triumph, les versions six cylindres font rêver, précédées qu'elles sont par une réputation de dureté au mal qui est assez anachronique dans le monde de l'anglaise. Au point que l'on aurait tendance, si l'on en croit les spécialistes de la Vitesse, à en oublier les précautions les plus minimalistes et les défauts chroniques d'une voiture qui, comme ses consœurs, mérite une attention soutenue. La corrosion fait évidemment partie de ces tares congénitales auxquelles elle n'échappe pas. Ses soucis sont identiques à ceux de l'Herald. stricto senso et concernent aussi bien le châssis que la caisse. On ne reviendra donc pas sur le sujet, abondamment détaillé dans le guide d'achat de l'Herald (Gazoline 101), pour s'attacher aux spécificités techniques de la Vitesse.

 

Premier point, le moteur. Un six cylindres extrapolé du quatre cylindres SC qui équipait bon nombre de Triumph dès le milieu des années 50. On y retrouve la course de 76 mm, des pistons à jupe fendue, un arbre à cames entraîné par chaîne, une culasse en fonte_ et des soucis récurrents. Dès la mise en route, vous comprenez d'ailleurs la source principale des problèmes rencontrés sur ce six cylindres, à entendre les couinements des paliers de vilebrequin lors des démarrages à froid : où est passée l'huile ? Elle stagne tranquillement dans le filtre monté horizontalement et rechigne à se faire aspirer par la pompe. C'est un peu comme si elle avait du mal à se réveiller ! Or. même et surtout dans les premières secondes d'une mise en route, la présence d'huile est indispensable, Pour pallier ce problème, nombre de possesseurs de ce moteur six cylindres ont préféré monter un filtre vertical, utilisant pour ce faire un kit Triumphtune ou Flexolite. Ce qui permet, au passage, de monter une cartouche d'huile plus moderne et plus facile à trouver dans le commerce. De même, pour améliorer le graissage à l'arrière du moteur, et surtout au niveau de la rampe de culbuteurs et du sixième cylindre, il existe un kit qui permet de prélever de l'huile dans le carter moteur et de l'envoyer sous pression là où elle a bien du mal, autrement à arriver en quantité suffisante. Ca permet d'assurer une plus grande longévité à sa mécanique. Et parallèlement, on remplacera plus souvent l'huile, en privilégiant toujours un lubrifiant d'excellente qualité. Enfin, et c'est également un problème bien connu, les cales de latéral qui assurent le jeu du vilebrequin, lorsqu'elles sont usées, peuvent aller jusqu'à quitter leur logement ! Bonjour les dégâts, A contrôler impérativement en poussant sur l'embrayage pour voir si la poulie s'avance. Si c'est le cas. ouvrir le moteur, contrôler !e vilebrequin et prier le ciel que le précédent propriétaire n'a pas roulé trop longtemps avec une ou plusieurs cales de latéral dans le sac ou trop usées.

La synchro des carbus

Voilà pour les problèmes parfaitement identifies qu'on peut rencontrer sur le six cylindres. Rien de dramatique puisqu'il existe des solutions, notamment pour améliorer le graissage. L'alimentation est, elle, dévolue à des Solex ou à des Zenilh-Stromberg. Dans les deux cas, le seul souci connu concerne leur synchronisation. Des réglages réguliers y pallient sans difficulté. Sur les Strombcrg. une perte de puissance constatée est généralement due à une membrane de pompe de reprise devenue poreuse. Ce phénomène a surtout été constaté avec l'arrivée du sans-plomb, nettement plus agressif pour les caoutchoucs. Bien vérifier que votre membrane est de couleur rouge ( pour le sans-plomb ). Si elle est encore noire, n'hésitez pas à la changer, vous gagnerez du temps sur la panne qui vous guette. Côté transmission, pas de panique. Les boîtes de vitesses qui ont été montées sur les 1600 ou les 2 litres sont parfaitement dimensionnées et suffisamment robustes pour ne pas nécessiter d'interventions lourdes, à condition, bien sûr, de surveiller le niveau d'huile, les fuites étant ici une constante, origine anglaise oblige. Ça évite la corrosion, comme disent nos amis british en souriant. Par contre, le levier de vitesses peut prendre du jeu. Rien de dramatique puisqu'il suffit de changer les bagues pour retrouver une précision de bon aloi. Les possesseurs de l'Overdrive Laycock de Normanville ne rencontrent des soucis que lorsqu'ils "oublient" de se servir régulièrement de leur auto. La faute à l'oxydation des connexions qui se produit alors. Attention, également, à bien lire la notice d'utilisation de l'overdrive qui précise bien qu'il ne faut pas l'enclencher en-dessous de 30 mph.

Autre question récurrente : l'embrayage. Surtout lorsqu'on l'a... changé ! Pourquoi ne fonctionne-t-il toujours pas ? Le plus souvent parce que la cause du problème ne vient pas de l'embrayage lui-même, mais de sa commande hydraulique parce qu'après avoir remplacé le mécanisme, on fait travailler le piston dans une zone qu'il n'a plus l'habitude de fréquenter, zone généralement corrodée. C'est le même problème que vous rencontrez avec un maître-cylindre Je frein lors d'une purge au pied. Donc, avant de hur1er contre les refabrications "douteuses", commencez par vérifier l'état du maître-cylindre d'embrayage.

Accouplements Rotoflex

Des vibrations ressenties à plus de 80 km/h traduisent immanquablement un mauvais équilibrage de l'arbre de transmission (balourd). Ne traînez pis trop, les joints de cardan souffrant également de cette situation. Quant aux fuites d'huile de pont, grand classique, elles trahissent généralement un joint spi fatigué. Ou un accouplement élastique fatigué. Sur les trains roulants, beaucoup préconisent par ailleurs le remplacement des bagues en caoutchouc par leurs équivalents en uréthane, plus dures. C'est d'autant plus vrai sur les modèles équipés, à l'AR, d'un triangle inférieur, les accouplements caoutchouc Rotoflex étant même si fragiles qu'ils sont sensibles au changement d'une roue ! Prenez trop de temps, et ils se détériorent rapidement ! Ces accouplements Rotoflex exigent qui plus est. une méthodologie de remplacement lourde et un outillage spécifique pour ne pas trop galérer. Attention également à l'accouplement entre les triangles supérieurs et inférieurs AV et l'étrier porte-fusée. Il est réalisé en haut par une rotule et en has par un pivot en laiton dont les axes doivent être régulièrement graissés avec quelques gouttes d'huile extrême pression. Enfin, si vous constatez un jeu excessif dans la suspension, c'est généralement signe que les silentblocs et bagues sont uses. Beaucoup préfèrent utiliser des bagues nylon généralement préconisées en compétition. Pourquoi pas ? Ça améliore sensiblement le comportement du train AV. Par contre, monter des ressorts renforcés et raccourcis, pour une utilisation plus ludique que sportive, est un luxe dont on peut se passer. Pour un confort améliore, il vaut mieux monter des amortisseurs Monroe renforcés ou des Koni réglables. Et les freins, me direz-vous ? Disques à l'AV. tambours à l'AR, commande hydraulique. C'est d'un classicisme redoutable et ils ne nécessitent guère qu'un entretien tout ce qu'il y a de plus normal, avec vérification de l'épaisseur des plaquettes et réglages du léchage des garnitures AR car même si elles sont à rattrapage de jeu automatique, ce n'est jamais aussi parfait que le réglage fin qu'on peut réaliser soi-même. Par ailleurs, la réfection de ces éléments est tellement simple et si peu onéreuse qu'il ne faut pas hésiter à remplacer notamment les cylindres de roues AR plutôt que de chercher à les réparer.

Tout est dispo !

Globalement la Vitesse n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler une auto difficile. Elle serait même plutôt du genre arrangeante, partageant, en prime, hon nombre de ses pièces avec ses petites sœurs, ce qui facilite d'autant leur disponibilité. La restauration d'un tel modèle est donc réputée simple et relativement économique. Même si certains accessoires intérieurs, certaines teintes de moquette ou si les habillages en bois sont devenus rares. Dénicher de la pièce pour ces autos-là est presque aussi simple qu'aller rendre visite à sa voisine. Aussi simple, en tout cas, qu'un coup de fil. … Par contre, dénicher un exemplaire en bon état de marche et dont la carrosserie n'est pas trop corrodée, ça c'est une autre paire de manches. Mais après tout, galérer un peu pour trouver l'objet de tous ses désirs, ça fait partie du charme. Surtout avec ces anglaises un rien atypique, loin en tout cas des sentiers battus et rebattus par les amateurs de TR. de Spitfire ou, à un degré moindre, de GT La Vitesse est différente. Méconnue à tort. Mais plus pour longtemps à voir l'engouement qu'elle suscite un peu partout en Europe. Et aux Etats-Unis. Alors, tenté ? Oui ? Faites vite, il n'y en aura pas pour tout le monde. o

JEAN-PATRICK BARAILLE / PAUL FRAYSSE

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